L’autre soir, William s’était surpris à penser que passer l’éponge sur cet étrange tatouage – maintenant effacé à jamais de sa peau – n’était peut-être pas la meilleure chose à faire. Après tout, il n’avait pas atterrit sur sa cheville comme par magie et une personne dans ce bas monde y était assurément pour quelque chose. Dans un éclair de lucidité, il disait même de génie, l’étudiant se lança dans sa propre enquête ‘avec qui ais-je couché ce soir là ?’. Il commença par se renseigner auprès de ses confrères, qui tout aussi déchirés que lui lors de cette soirée, ne se souvenaient malheureusement de rien ; si ce n’est qu’il s’était enfuit avec une jeune femme blonde, ‘chauuuuude’ d’après une lumière de la confrérie x). Il avait ensuite fouillé chez les commères de Stanford, qui trop occupées à le reluquer sans gêne ne lâchèrent mot. Après de vaines introspections, il en conclut qu’elles préféraient jouer les fines bouches plutôt que d’avouer qu’elles ne savaient rien ; pour une fois. Il alla chez presque tous les tatoueurs de San Fransisco, espérant que l’un d’eux se souviendrait de lui : « Tu m’excuseras mon gars mais… des gamins comme toi il en passe des dizaines tous les soirs ! Si tu pouvais me décrire un peu plus ta dulcinée, j’pourrais peut-être t’aider ! » Quoi qu’il en soit, après une longue journée d’investigations il rentra bredouille.

Il décida d’aller se changer les idées. Non pas au bar à se saouler, puisqu’il risquait une nouvelle mésaventure, mais à la bibliothèque de la ville. Il avait l’habitude de faire d’une pierre deux coups, et il devait rendre un exposé sur les méthodes de Freud, essentiellement celle de l’association libre, pour mardi. Mais trêves d’absurdités. Il salua la jeune femme qui triait les derniers bouquins reçut, et de son sourire ravageur il la fit ricaner bêtement. Il avait l’habitude de ces choses là et ne s’en vantait pas. Il avait d’autres choses à faire que de se pavaner devant des gourdes pareilles. Il s’installa à une table devant la grande fenêtre de la salle, puis vogua entre les rayons en quête de Savoir. Il n’arrivait pas à se concentrer sur sa tâche, ses pensées retournant toujours au problème de la « chauuuuude » blonde de l’autre soir. Il avait bien fait le tour de la question, étudiant chaque alternative (tel que le fait que peut-être il n’y avait jamais eu de « chauuuuude » blonde), mais rien n’y faisait, cela restait un mystère. Et les mystères, c’était son truc. Les bras chargés de sept bouquins il retourna à son QG, bruyamment. Il s’affala dans son siège, sortit une feuille de papier et un crayon, puis s’enfonça de nouveau dans ses monologues. Il bredouillait des choses inutiles et incompréhensibles, agitant nerveusement son crayon.

Les deux étudiants, le reflet l’un de l’autre, échangèrent un long silence durant lequel ils se toisèrent sans relâche. Willy (car il faut le sauver XD) se posait une multitude de questions concernant la jeune femme, mais celle qui lui trottait à l’instant dans la tête était ‘vais-je coucher avec elle ce soir ?’. Dommage, sa règle d’or est de ne jamais coucher plus d’une fois avec la même personne. Cela compte-t-il lorsqu’il ne se rappelle plus avoir couché avec cette blonde ? Quoi qu’il en soit, il lui fit les beaux yeux, révélant son sourire ravageur qui en a déjà fait craquer plus d’une. A sa réplique… intéressante, il récupéra instantanément son crayon et fit mine de griffonner sur son papier. Il était bosseur, mais en présence d’une aussi belle étudiante il était pour lui difficile de se concentrer. Sur un ton tout à fait désinvolte il sortit avec amusement :

« Tu aimes le chocolat ? Car Freud disait que désirer du chocolat était extérioriser sa frustration sexuelle. »

Il releva la tête, riant silencieusement. Dans un mouvement agile il ôta sa veste en cuir, faisant apparaître un T-shirt gris uni, tout ce qu’il y a de plus banal. Alors qu’il s’apprêtait à se remettre au travail, il sentit la présence d’une deuxième personne derrière lui. Il s’agissait de la bibliothécaire, Susan, qui venait lui apporter une tasse de café. Elle avait pris cette habitude le jour où William lui avait lui-même offert son café. Elle l’avait prit dans le mauvais sens, pensant que l’étudiant avait des sentiments pour elle. Depuis, elle ne le lâchait plus et en devenait parfois envahissante. Avec délicatesse il lui sourit et l’invita à retourner à son bureau. Naïve comme elle était, elle ne se douta pas un instant que derrière ses gentilles paroles pleines d’humour elle venait de se faire jeter. Comme si de rien était, il revint à ses moutons.

« Dis-moi, tu n’étais pas à la soirée des KDE samedi dernier par hasard ? »

Il la fixait malicieusement, essayant de lui soutirer des informations. Autrement, pourquoi se serait-elle incrustée ainsi auprès de lui ?

William observa attentivement le petit manège de la jeune femme. Elle n’était pas nette avec sa belle chevelure blonde et son genou replié contre sa poitrine. On ne vient pas causer avec une personne que l’on ne connaît pas, sans même lui demander ni la permission ni son nom ! Etrangement, l’étudiant n’avait pas pensé nécessaire de faire plus ample connaissance. Il ne faisait jamais plus ample connaissance avec les filles. A sa réponse concernant sa brillante remarque sur Freud et ses théories, Willy esquissa un sourire un coin. Elle n’était pas si mal après tout. Elle disait ce qu’elle pensait, ne se prenait pas la tête. Elle avait tout à fait le profil du suspect dans son enquête. A son tour il s’affala dans son siège, croisant les bras. Il soupira, balayant la salle d’un regard vagabond et reporta son attention sur la jeune femme.

« Soit tu y était, soit tu n’y étais pas ma grande. On ne peut pas ne pas savoir si l’on est allé ou pas à une soirée ! Surtout une soirée des KDE, les filles comme toi doivent adorer… »

Il insinuer beaucoup de choses derrière cette remarque. En effet, la confrérie Kappa Delta Epsilon symbolisait tout ce qui n’allait pas dans la société de nos jours, à ses yeux. Les inégalités sociales en outre. Depuis trois ans qu’il étudiant à Stanford, il avait apprit beaucoup de chose, comme par exemple que les membres de la confrérie étaient en général adulés des pom pom girls comme cette jeune femme. Il ne la connaissait pas, mais en avait très vite déduit qu’elle devait adorer encourager les footballeurs de l’université.
Il continuait à la fixer intensément, ne cédant pas à sa manipulation. Elle lui avait mit le doute quant à sa présence à cette soirée, et c’est dans la lune qu’il porta son gobelet de café à la bouche. Alors qu’il trempait ses lèvres dans le breuvage, une chose… gênante se passa. Le gobelet était brûlant mais l’étudiant trop concentré à dévisage la blonde ne s’en était pas tout de suite rendu compte. Dans un mouvement de recul il lâcha le récipient qui vint se déverser sur la table, coulant négligemment sur le fabuleux jean tout neuf de Willy. Il sauta de sa chaise bruyamment et en quelques secondes seulement Susan rappliqua. Elle rapplique toujours lorsqu’il est en danger de mort.

« Will, que se passe-t-il ? Elle remarque les tâches de café sur son jean. Oh zut ! Attends, je vais t’aider à arranger ça ! »

Sous le regard de quelques étudiants attablés autour d’eux, la bibliothécaire sortit un mouchoir de sa poche et ne se retint pas de venir essuyer, pleine de délicatesse, le café brûlant la cuisse de William. Il entendait les rires des gens autour de lui et les points posés sur les hanches il observait, amusé, Susan s’activer. Cette situation, aussi gênante soit elle, ne le mettait point à l’aise. Au lieu de cela, il la laissa faire, souriant gaiement à sa compagne de table qui observait en retrait.

Ahah, nouvel indice dans la super enquête de Willy x), mademoiselle la blondinette était en effet à la soirée. Et bien sûr, elle l’avait vu bien amoché ce soir là : rien de nouveau, ça il le savait déjà. Mais cette espèce de désinvolture dans sa voix, son comportement beaucoup trop détendu, cela cachait quelque chose. Si elle n’était pas dans le coup, elle aurait du lui dire beaucoup plus que ce qu’il ne savait déjà. Quoi qu’il en soit, elle observait la scène du café renversé avec un petit sourire en coin et une lueur d’amusement dans les yeux. William était un mec assez déjanté qui n’avait pas peur du ridicule. Comme beaucoup de ses confrères, il sortait souvent « le ridicule ne tue pas, autrement je serais déjà mort » dans n’importe quelle situation un peu gênante. Il remercia d’un petit signe de main la bibliothécaire qu’il du quasiment renvoyer une nouvelle fois à son bureau. Elle s’était en effet attardée au niveau de son entrejambe, signe flagrant qu’elle en pinçait effectivement pour lui. Encore une fois, ce n’était pas nouveau. Il jouait à ce petit jeu là avec Susan depuis déjà pas mal de temps. Il la faisait tourner en bourrique, se servait d’elle. Après tout, il lui suffisait de lever le petit doigt pour qu’elle rapplique. Certes, c’est puéril de sa part, mais il est rare de s’amuser autant avec une personne sans qu’elle ne s’en rende compte…

« Susan, à la soirée ? Tu te fous de moi ! Elle n’aurait même pas réussit à entrer vu comment elle se fringue ! »

Il s’esclaffa et fort heureusement la bibliothécaire n’entendit point son commentaire. Après avoir passé un mouchoir sur son siège, il se réinstalla à la table, mais cette fois ferma ses bouquins pour se concentrer sur l’interrogatoire qu’il allait entreprendre. Il fut vite agacé de voir qu’autour du couple les gens n’avaient pas reprit le cours de leur existence. Il les fixa, fit les gros yeux et comme par magie ils rentrèrent tous chez eux x). Après cela, il reporta lentement son attention sur la blondinette, se rapprochant d’elle. Il s’était une nouvelle fois accoudée au bois du meuble, et ses cheveux en bataille ne collaient absolument pas avec l’air sérieux de son visage. Il avait une sorte de petit sourire en coin, comme s’il préparait l’un de ses fameux coups. Sans la moindre discrétion il jeta à la volée :

« Dis moi jolie demoiselle, nous n’aurions pas couché ensemble par hasard ? Votre minois me dit vaguement quelque chose. »

Il n’était pas rare que l’étudiant parle ainsi aux femmes, c’était un moyen subtil pour lui de ne pas passer pour un pauvre idiot en manque. Il draguait, couchait et ne rappelait jamais. En général, il évitait les étudiantes de Stanford : trop risqué, le monde est petit et il ne voudrait pas tomber nez à nez avec l’une de ses anciennes conquêtes enragée. En parlant de draguer… Pour faire craquer la suspecte, il vint délicatement remettre à sa place une boucle blonde de son interlocutrice, en prenant bien soin de frôler la peau de son visage. Généralement, ça les faisait toutes chavirer !